Bernard Béland : Le pont vers l’au-delà

Gilles Bédard – Vivre en harmonie
Extrait du livre Le pont vers l’au-delà de Bernard Béland
Les Éditions Québécor. 1992

 
Entre deux grands éclats de rire, une farce « newfie » et un gag « mystico-éso pété », comme il se plait à étiqueter les « nouvel-âgeux », Gilles Bédard parle de la Vie avec un grand V, de sa mort clinique et de son voyage dans l’au-delà, de la Lumière et surtout du Son. Il faut dire que la musique est toute sa vie. Spécialiste de la musique du Nouvel-Âge, producteur de disques et de spectacles dont la réputation s’étend bien au-delà des frontières du Québec, Gilles Bédard n’a pourtant rien d’un homme sérieux; par contre, tous ceux qui le côtoient savent à quel point cet être est rigoureux, exigeant et qu’il a l’intelligence du coeur.

La première fois que j’ai rencontré Gilles Bédard, c’était dans une réunion de IANDS-Québec. La discussion était sérieuse, mais ni lui ni moi n’arrivions à nous prendre au sérieux; nous étions comme deux enfants rieurs et complices. J’ai eu l’impression de revoir un vieux copain d’enfance, un peu comme si nous avions repris la conversation là où nous l’avions abandonnée lors de notre dernière rencontre. Mais, nous ne nous connaissions ni d’Adam ni d’Ève. Voilà donc comment nous nous sommes liés d’amitié.

Vous me direz que cela n’est pas très sérieux comme introduction. Rien n’est tout à fait comme il le faudrait avec Gilles Bédard. Avec lui, le ridicule ne tue pas, au contraire, il est merveilleux !

Je me rends compte tout à coup que j’ai quasiment de la pudeur à parler sérieusement de mon ami Gilles. Comme si je craignais de ne pas lui être fidèle, et comme si j’essayais, à travers tout mon verbiage, de fuir sa réalité. Parce que derrière son immense rire communicateur, Gilles Bédard incite à la réflexion … Et pourtant, en novembre 1973, à l’âge de vingt ans, Gilles n’est pas mort de rire, non! Il est mort pendant quelques minutes, puis il est ressuscité.

LA MALADIE DE CROHN

Gilles était hospitalisé depuis plusieurs mois à cause d’une maladie qui le rongeait littéralement : la maladie de Crohn. Il avait frôlé la mort à trois reprises, on ne pouvait l’opérer. Il était branché et était nourri par hyper-alimentation. Il n’avait plus que la peau et les os, et tout le monde s’attendait à ce qu’il meure d’une journée à l’autre.

« Un samedi matin, je me réveille ; je me sentais très lourd. Je faisais quarante et un de fièvre, ma pression était à soixante, j’étais dans un semi-coma : je partais et je revenais constamment. Les médecins m’auscultaient, me surveillaient ; ils avaient même prévenu mes parents : cette fois-ci, je devais vraiment mourir (pour la quatrième fois). Tranquillement, je sentais l’énergie de tout mon corps se diriger vers le coeur, comme si tout mon être se concentrait en un point précis. La journée se passa.

« Dans la nuit, un médecin vint me voir et me tourna sur le dos. J’ai soudainement vu toute la chambre : j’étais au plafond. J’avais l’impression d’être comme un grain de sable.  Je voyais les gens en bas, mais je ne ressentais rien de particulier. Puis, comme si j’avais levé les yeux à quatre-vingt-dix degrés, j’ai vu en face de moi douze personnes, douze êtres de Lumière installés en demi-cercle; derrière eux, il y avait un tunnel et la Lumière. J’ai alors entendu une voix dans mon grain de sable (grand éclat de rire !) … En fait, c’est comme si les douze me parlaient à travers une seule voix : ils étaient UN.  Ils m’ont dit:  » Tu ne meurs pas, tu retournes sur terre, parce que tu as quelque chose à faire. » Je sais maintenant que j’avais entendu des sons dans l’au-delà, mais à l’époque, cela ne m’avait pas frappé. Pourtant, je comprenais ce que ces douze êtres de Lumière voulaient dire sans vraiment en mesurer toute la portée.

« Puis, je me suis retrouvé dans mon corps. J’ai ouvert les yeux et j’ai demandé où était mon père. Il s’est approché de moi, m’a pris par la main et j’ai senti une super décharge d’énergie, comme s’il me transmettait la vie. Je me suis endormi. Le lendemain matin, j’ai vu un extraordinaire lever de soleil. D’habitude, c’était impossible de voir le soleil de ma chambre à cause d’un pavillon de l’hôpital qui obstruait la vue ; une infirmière est même venue pour fermer le rideau. J’ai refusé qu’elle le fasse : cela avait une signification bien particulière pour moi.

« Tout le monde est venu me voir, l’infirmière-chef est passée et m’a dit:  » Ne nous fais plus jamais ça, on a eu très peur. » Les médecins n’ont jamais pu expliquer ce qui s’était produit. Imagine : la veille, t’es mourant, et le lendemain matin, tu manges à ta faim, tu fais des farces avec le personnel, tu es en pleine forme. Je ne faisais plus de fièvre, ma pression était normale. Quelques semaines après, je rentrais à la maison.  »

COMPRENDRE

Pendant l’hiver 73-74, Gilles se refait des forces. Il lit énormément, des livres comme La Vie des Maîtres de Baird T. Spalding et écoute beaucoup de musique. Au printemps, il découvre Tangerine Dream : cette musique-là lui ouvre de nouveaux horizons. « Ç’a été pour moi une révélation. À partir de ce moment, je savais que ma voie se trouvait dans la musique. Mais il fallait que je sorte de mon milieu. Il y avait trop de gens qui s’apitoyait sur mon sort, tu sais le style « Pauvre Gilles, t’as failli mourir! » J’ai donc eu la chance de pouvoir me retrouver, à l’été 74, dans un séminaire à Cap Rouge, près de Québec. J’avais le septième étage à moi tout seul. J’ai apporté des livres et des disques. Là, personne ne savait que j’avais frôlé la mort, je pouvais donc vivre en paix. Cette période m’a permis de reprendre contact avec ce que j’avais vécu, de comprendre surtout. Et c’est là que j’ai renoué avec les sons que j’avais entendu dans l’au-delà.

« C’est aussi à Cap Rouge que j’ai compris que j’étais protégé. Un jour, peu de temps après ma sortie de l’hôpital, je m’aperçus que j’étais enveloppé d’une bulle de Lumière. En plus, je me suis rendu compte que j’avais toujours trois « personnages » qui me suivaient. J’avais même tendance à me retourner pour voir s’ils étaient là. Un vrai film de suspense ! Je trouvais ça « achalant » : t’as-tu l’air fou de te retourner à tout bout de champ pour voir si quelqu’un te suit ? Mais c’est à Cap Rouge que j’ai compris qu’ils étaient là pour me protéger. Je pouvais traverser la rue sans vraiment faire attention : ils me surveillaient.

« J’ai compris que tout ce que j’avais à faire, c’était d’accepter, de ne pas me poser de questions, et de vivre pleinement.  La musique m’habitait de plus en plus …  »

RECONNAÎTRE LE SON

Gilles Bédard a grandi dans un environnement musical. Très jeune, il fut ébloui par la musique classique et aussi par le chant choral et grégorien. Bien sûr, comme tous ceux de sa génération, il fut marqué par les Beatles et les Moody Blues. Mais la véritable révélation eut lieu en mai 1974 : « Mysterious Semblance at the Strand of Nightmares », de l’album Phaedra, du groupe Tangerine Dream, m’a fait pénétrer dans cette dimension céleste que j’avais ressentie en écoutant du grégorien, et surtout cet état de grande béatitude que j’avais vécu au cours de mon expérience de mort. En 1976, la musique de Vangelis m’a rapproché encore plus de toutes ces émotions particulières.

« Puis en 1984, c’est le choc. En entendant Structures from Silence, du musicien américain Steve Roach, je me suis dit : c’est ça que j’ai entendu ! Cette musique me faisait vivre des états altérés de conscience comme aucune autre auparavant. Et je savais qu’un jour nous allions nous rencontrer.  »

À cette époque, Gilles anime et produit une émission sur la musique du Nouvel Âge à la radio communautaire montréalaise CIBL. En 1988, il produit, au Spectrum de Montréal, KHÂLL, le premier spectacle au Québec de musique du Nouvel Âge. Par la suite, il réalisera sur les ondes de Télémédia une émission hebdomadaire sur la musique du Nouvel Âge, animée par Raôul Duguay. Et depuis, il ne cesse de s’impliquer et de promouvoir la musique du Nouvel Âge.

En 1989, le hasard (qui n’existe pas, comme on le sait!) lui fait rencontrer Steve Roach. « Le plus étonnant, au moment de ma rencontre avec Steve, c’est qu’on s’est rendu compte qu’on avait vécu plus ou moins la même chose, à peu près à la même période.  En 1977, il a eu une accident de moto et a vécu une OBE (Out of Body Experience – une décorporation) : son expérience dans la Lumière lui a permis de revenir avec les sonorités de l’au-delà. On est devenu des amis, des collaborateurs. Ses musiques me permettent de retrouver les sons que j’avais entendus lors de ma propre expérience.  C’est la même chose avec Constance Demby, autre musicienne américaine. Ces gens-là, comme d’autres aussi, ont su trouver la voie intérieure… »

Gilles parle et parle et parle … la musique l’habite, il habite la musique. Tout est intégré, tout est en équilibre. Il a trouvé sa voie. Pour lui, certaines musiques du Nouvel Âge peuvent changer les niveaux de perception des gens. Ces musiques sont, en quelque sorte, le Son de la Lumière, et permettent de vivre en symbiose.

« Quand tu arrives a l’équilibre, tu es de plus en plus en paix avec toi-même, donc avec les autres. L’équilibre c’est aussi de pouvoir laisser aller, de lâcher prise. Tu vois, dernièrement, j’ai fait le ménage dans ma discothèque. C’est effrayant comme on en ramasse des affaires ! Il faut apprendre à jeter nos vieilles guenilles, à vivre l’essentiel avec l’essentiel. L’important, c’est de se centrer et de rester centré.  »

Comme vous l’avez remarqué, l’histoire que Gilles Bédard avait à nous communiquer est très courte si on la compare aux autres. Non qu’elle manque d’intensité, au contraire! C’est que Gilles a intégré rapidement son expérience de mort imminente (EMI). Il n’y a pas vraiment eu de choc entre l’avant et l’après. Jeune, la musique l’habitait, devenu adulte, il en fait sa vie. Une question demeure pourtant : qu’a-t-il vécu exactement? Comme Gilles n’est pas allé très loin, selon les cinq stades de Kenneth Ring, est-ce que son expérience prouve quelque chose? Est-ce justement parce qu’il n’est pas allé loin que son intégration fut aussi facile à faire et à vivre?…