Une entrevue de Gilles Bédard
Le matérialisme scientifique est incapable d’expliquer les vécus où l’esprit « domine » la matière, que l’on parle de guérisons physiques, de l’effet placebo en médecine, du pouvoir de la volonté, etc. Et si le cerveau était, entre autres, un filtre nous permettant d’être en contact non seulement avec le monde qui nous entoure, mais avec celui qui nous habite, l’univers de nos pensées, de nos émotions et de nos croyances? Quel pouvoir cette découverte apporterait-elle sur la vie en général et sur la nôtre en particulier?
Dieu a-t-il créé le cerveau ou le cerveau crée-t-il Dieu? Les expériences spirituelles viennent-elles de Dieu ou sont-elles le produit de l’activité chaotique des neurones? À partir de recherches de pointe en neurosciences menées avec des soeurs Carmélites au Canada, le Dr Mario Beauregard avait examiné la façon dont le cerveau traite les expériences religieuses, mystiques ou spirituelles. Il avait réussi à démontrer qu’il existe des événements spirituels authentiques qui ne sont pas « fabriquées » par le cerveau.
Son premier livre s’adressant au grand public, Du cerveau à Dieu – Plaidoyer d’un neuroscientifique pour l’existence de l’âme, parlait principalement de la spiritualité et des expériences spirituelles en lien avec ce qui se passe dans le cerveau. Il faisait également la critique d’une certaine vision plus traditionnelle et matérialiste de la science. Dans son nouveau livre, Les pouvoirs de la conscience – Comment nos pensées influencent la réalité, il s’appuie sur les découvertes faites dans les diverses disciplines scientifiques (physique quantique, neurosciences, psychologie, recherche biomédicale) afin de démontrer la faiblesse de la vieille vision matérialiste apparue il y a quatre siècles, une vision et qui bat de plus en plus de l’aile.
Je propose que le cerveau agi comme une sorte de filtre qui nous focalise sur l’environnement externe en général, mais aussi, d’une certaine façon, sur l’environnement interne tel que nos schémas de pensées habituels et nos croyances. Une modification de cette fonction de filtre peut être induite de différentes manières, que ce soit par la respiration, la méditation ou, comme dans votre cas, le travail par la musique. Ces changements au niveau électrique et chimique dans le cerveau permettent ainsi une ouverture sur d’autres plans de réalité.
Les pouvoirs de la conscience est votre second livre pour le grand public. Quelle différence retrouve-t-on entre celui-ci et votre précédent, Du cerveau à Dieu?
Du cerveau à Dieu traitait principalement de la spiritualité et des expériences spirituelles en lien avec ce qui se passe dans le cerveau. Je faisais également la critique d’une certaine vision plus traditionnelle et matérialiste de la science.
Dans Les pouvoirs de la conscience, je considère les découvertes dans les diverses disciplines scientifiques (physique quantique, neurosciences, psychologie, recherche biomédicale) afin de démontrer la faiblesse de la vieille vision matérialiste apparue il y a quatre siècles et qui bat de plus en plus de l’aile.
Dans ce nouveau livre, quels étaient vos objectifs?
Le premier objectif du livre est de démontrer que l’esprit, i.e. les facultés mentales, est quelque chose qui existe en soi et qui peut être très puissant. La croyance actuelle de certains philosophes et neuroscientifiques matérialistes est que les processus mentaux et la conscience peuvent être simplement réduits à l’activité électrochimique dans le cerveau. J’affirme que les pensées, les croyances et les émotions ont un impact très important sur ce qui se passe dans le cerveau ainsi qu’au niveau de tous les systèmes physiologiques connectés comme le système immunitaire et le système endocrinien. Pour ce faire, je donne des exemples liés à l’hypnose. Je me réfère également aux études qui montrent l’impact des émotions, qu’elles soient positives ou négatives, sur l’activité du système immunitaire et sur diverses maladies dont le cancer.
Le deuxième objectif du livre est de démontrer que l’esprit exerce une activité et un effet non seulement à l’intérieur du corps mais aussi à l’extérieur de l’organisme. J’illustre ce point par l’exemple des expériences de mort imminente (EMI) durant des états d’arrêt cardiaque. Lorsque le cœur arrête, le cerveau cesse de fonctionner environ 10 à 20 secondes après l’arrêt cardiaque. Or, il existe différents cas de patients ayant vécu des perceptions véridiques, i.e. se rapportant à des événements qui ont été confirmés par des individus qui étaient dans l’environnement de ces patients durant leur arrêt cardiaque.
Je discute également des expériences hors-corps (EHC) chez des personnes aveugles (cécité de naissance ou acquise). Comme dans le cas des EMI durant un arrêt cardiaque, nous retrouvons également des perceptions véridiques chez des individus aveugles durant des EHC. Ces faits avérés remettent grandement en question la vieille pensée matérialiste et réductionniste selon laquelle l’esprit et la conscience ne se réduisent qu’à l’activité cérébrale.
Dans Les pouvoirs de la conscience, j’examine également les expériences transcendantes pour montrer que certains états altérés de conscience transcendent de beaucoup l’activité consciente ordinaire. Il semble qu’une altération de l’activité du cerveau est nécessaire pour pouvoir accéder aux états transcendants. C’est pourquoi je propose que le cerveau agi comme une sorte de filtre qui nous focalise sur l’environnement externe en général, mais aussi, d’une certaine façon, sur l’environnement interne tel que nos schémas de pensées habituels et nos croyances. Une modification de cette fonction de filtre peut être induite de différentes manières, que ce soit par la respiration, la méditation ou, comme dans votre cas, le travail par la musique. Ces changements au niveau électrique et chimique dans le cerveau permettent ainsi une ouverture sur d’autres plans de réalité.
Je termine le livre en concluant que ce qu’on appelle esprit et conscience (ou la psyché) est en réalité une force, un principe fondamental dans l’univers, tout aussi réel que ce qu’on appelle le monde physique. Je ne suis pas dualiste— quoiqu’en pensent certains dans le milieu scientifique— mais plutôt moniste. C’est-à-dire que pour moi, il n’y a pas de séparation radicale entre le monde de la psyché et le monde physique, et ces deux aspects fondamentaux originent d’un principe unique.
Les pensées, les croyances et les émotions ont un impact très important sur ce qui se passe dans le cerveau ainsi qu’au niveau de tous les systèmes physiologiques connectés comme le système immunitaire et le système endocrinien.
Vous avez fait différentes recherches sur les émotions. Existe-t-il une façon de contrôler les émotions afin de permettre ou induire des états de nature mystique ou des ouvertures de conscience?
Tout à fait! Les patterns émotionnels, les schémas de pensée et les croyances font partie d’une certaine programmation psychologique associée à l’activité cérébrale. Lorsque qu’elles sont récurrentes, elles peuvent devenir chroniques, ce qui peut empêcher de faire d’autres types d’expériences. Dans une perspective plus globale, on pourrait dire que les patterns récurrents d’activité mentale deviennent un obstacle à l’évolution de la conscience de l’individu. C’est pourquoi dans différentes traditions spirituelles, par exemple dans certaines pratiques de méditations bouddhistes, on enseigne des techniques d’entraînement mental visant à contrôler les schémas émotionnels négatifs et répétitifs. Ce type de pratique mène parfois à d’importantes ouvertures de conscience.
Dans le cas des expériences de nature mystique, retrouve-t-on un déclencheur commun qui puisse faciliter ce type d’expérience et permettre ainsi une ouverture vers d’autres réalités de conscience?
Il existe, en effet, différents déclencheurs possibles. Des chercheurs ont étudié cette question afin de mieux comprendre et identifier les facteurs qui y sont spécifiquement associés. On constate que bien souvent, certains états émotionnels, par exemple un état de désespoir qui porte à faire appel à un pouvoir plus élevé, peuvent être associés à une expérience spirituelle et transcendante. La méditation, la prière ou la respiration peuvent aussi être des déclencheurs. Certaines traditions chamaniques privilégient l’ingestion de substances enthéogènes, provoquant ainsi une modification de l’activité électrochimique du cerveau. La fonction filtre du cerveau, qui permet de focaliser notre attention sur notre environnement habituel, est alors désactivée. Il y a également des gens qui vivent ces expériences en apparence de façon spontanée, sans raison connue, on comprend plus ou moins ce qui se passe à ce moment-là. Est-ce que ça vient d’un plan spirituel, on ne le sait pas. Il nous faut donc poursuivre nos recherches pour mieux comprendre ce phénomène.
Les patterns émotionnels, les schémas de pensée et les croyances font partie d’une certaine programmation psychologique associée à l’activité cérébrale. Lorsque qu’elles sont récurrentes, elles peuvent devenir chroniques, ce qui peut empêcher de faire d’autres types d’expériences. Dans une perspective plus globale, on pourrait dire que les patterns récurrents d’activité mentale deviennent un obstacle à l’évolution de la conscience de l’individu.
Votre livre conclut sur l’avènement prochain d’une grande transformation de la conscience.
En effet, et pour ce faire, je me suis basé sur des évidences scientifiques. La physique moderne (quantique) date maintenant de près d’un siècle. La physique quantique a provoqué une révolution au niveau scientifique. Les physiciens de l’époque ont réalisé que la conscience du physicien qui fait un acte de mesure au niveau microphysique (i.e., qui étudie les particules et les ondes) influence les résultats de l’observation. On ne peut l’expliquer tout à fait pour le moment, mais on sait qu’il y a une interaction. Cela signifie qu’il n’existe pas vraiment de séparation entre ce qu’on appelle le monde physique et la conscience humaine.
Bien que révolutionnaire en soi et faite il y a près d’un siècle, cette découverte n’a pas vraiment rejoint la société de façon globale, ni la psychologie, la médecine et le domaine biomédical dont font partie les neurosciences. Nous sommes dans la même situation qu’à l’époque de la croyance en la terre plate. Une fois que l’on a démontré que la terre était ronde, environ un siècle s’est passé avant que cela ne rejoigne l’ensemble de la population. Les scientifiques qui font obstacle aux implications de la physique quantique sont des plus conservateurs et très attachés à leurs vieilles croyances. C’est là qu’on se rencontre à quel point les scientifiques sont aussi des êtres humains avec leur subjectivité. En fait, les scientifiques qui prétendent être sceptiques et rationnels sont souvent remplis de croyances et ils réagissent de façon violente au niveau émotionnel. Ces individus ne sont pas véritablement des sceptiques, mais plutôt des pseudo-sceptiques.
Cela a pris environ une vingtaine d’années avant que les physiciens plus conservateurs acceptent les conclusions de la nouvelle physique quantique. Il est évident que les vieilles idées reçues ne s’envolent pas comme ça, du jour au lendemain, et c’est ainsi dans tous les domaines de la société. C’est pour cette raison que certains individus refusent de considérer certaines évidences ou les interprètent de façons erronées pour refuser de changer la vieille vision à laquelle ils tiennent tant. Ils sont investis émotionnellement là-dedans. Par ailleurs, il est important de réaliser à quel point la vision du monde du point de vue scientifique influence l’évolution de la civilisation.
La vision du monde scientifique que je présente dans Les pouvoirs de la conscience est encore considérée par certains comme marginale. Quoi qu’il en soit, nous sommes maintenant dans une époque de transition, i.e. nous conduisant d’un paradigme à un autre. D’ici quelques décennies, la vision du monde scientifique que je défends sera vraisemblablement acceptée et reconnue.
En terminant, quels sont les projets de recherche scientifiques sur lesquels vous travaillez présentement?
Je travaille sur un projet visant à démontrer comment nous pouvons modifier la structure même du cerveau par un entrainement mental au moyen du neurofeedback. Les résultats préliminaires indiquent qu’au bout de quelques mois d’entrainement par neurofeedback, on peut changer la matière blanche et la matière grise dans les régions du cerveau associés à l’attention. Nous avons réalisé ce projet avec des étudiants universitaires qui sont dans la vingtaine car à cet âge, le cerveau a encore beaucoup de la plasticité. Toutefois, les études en lien avec la plasticité et le vieillissement démontrent que la capacité d’influencer et de transformer le cerveau existe tout au long de la vie. Cette capacité existe à un degré moindre à 70 ans qu’à 20 ans. Malgré tout, il est possible pendant toute la vie d’optimiser le fonctionnement et la structure de notre cerveau.
Il est vrai qu’il y a une perte au niveau de la matière grise et de la matière blanche qui se fait progressivement au cours du vieillissement. Cependant, il y a tellement de neurones et de connexions entre les neurones que même si on en a un peu moins en terme absolu, il en reste des milliards! Cela permet de continuer à développer de nouveaux apprentissages. Ça demande un peu plus d’effort parce qu’il y a moins d’énergie avec le vieillissement mais ça demeure toujours possible.
Dr Beauregard, je vous remercie!
Bienvenue Gilles!
* Entrevue réalisée en mars 2012, à l’occasion de la publication de la version anglaise du livre (Brain Wars).
© 2012 Gilles Bédard
Biographie
L’une des figures prédominantes des neurosciences contemplatives, Mario Beauregard, PhD., est chercheur en neuroscience présentement affilié au département de psychologie de l’Université de l’Arizona. Il a reçu un baccalauréat en psychologie et un doctorat en neuroscience à l’Université de Montréal. Il a également effectué des stages postdoctoraux à l’Université du Texas (Houston) et à l’Institut Neurologique de Montréal (Université McGill).
Auteur de plus d’une centaine de publications scientifiques en neurosciences, psychologie et psychiatrie, ses travaux au sujet des bases neurobiologiques de la régulation des émotions et d’états spirituels ont reçu une couverture médiatique internationale. Il a été choisi par le World Media Net comme l’un des Cent Pionniers du 21e siècle et s’est mérité, en 2006, le prix Joel F. Lubar pour sa contribution à l’avancement de la neurothérapie. De plus, ses travaux sur la neurobiologie des expériences spirituelles ont reçu une couverture médiatique internationale et, en 2007, ont fait l’objet d’un film documentaire, Le cerveau mystique, produit par l’Office National du Film du Canada.
En septembre 2008, il publiait Du cerveau à Dieu, un ouvrage de vulgarisation écrit en collaboration avec la journaliste scientifique Denyse O’Leary. En 2013, il publie un second livre de vulgarisation sous le titre de Les pouvoirs de la conscience – Comment nos pensées influencent la réalité. Dans cet ouvrage, il démontre que la conscience constitue un élément fondamental dans l’univers qui ne peut se réduire au cerveau.
En 2013, le Dr Beauregard est invité à participer à un dialogue avec le Dalaï Lama au sujet de la conscience (Melbourne, Australie). Il est l’un des artisans du nouveau paradigme post-matérialiste en science. Co-auteur du Manifeste pour une Science Post-Matérialiste*, le Dr Beauregard est également l’auteur de la Théorie de la Psychélémentarité et l’un des fondateurs de la Campagne pour une science ouverte. À l’automne 2016, il publiait son premier roman intitulé Expérientia et les milliards de visages de l’Infini.
Information complémentaire :
* Pour prendre connaissance du compte-rendu sommaire du Sommet International sur la Science Post-Matérialiste, la Spiritualité et la Société